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Avec les Verts Montreuil Ville Ouverte démocratie et solidarité au quotidien |
Texte de travail. Version du mardi 16 janvier 2001
Cultivons Montreuil : Quelle politique de la culture et de la création ?
En juillet dernier, un appel "Que vive l'art", initié
par la revue Cassandre, était publié par le journal
Libération. Il venait quelques jours après un débat
"sanglant" au Conseil municipal sur la politique culturelle
de la Ville. Cet appel nous a interpellé, dans la mesure
où nous commencions à discuter d'une démarche
et d'un programme pour les prochaines élections municipales.
Les Verts ont un retard considérable sur ce sujet. Globalement,
nous nous sommes sentis proches des questionnements et de la problématique
de cet appel.
En organisant une table ronde avec des acteurs culturels de Montreuil,
mais aussi Trans-Europe-Halles, la revue Cassandre et notre collègue
d'Arcueil adjointe à la culture, la liste "Montreuil
Ville Ouverte" a initié une première discussion
sur l'interface (les échanges, les dialogues, les logiques
à l'oeuvre, les oppositions, les autonomies,...) entre
les nouvelles dynamiques de création et de culture, et
les politiques culturelles publiques. Elle a permis d'écouter
le point de vue et les propositions des uns et des autres, et
ainsi de préciser nos questionnements et propositions.
1°) De nouvelles pratiques artistiques et culturelles
?
1.1 Les lieux traditionnels paraissent en crise : les publics
plafonnent (en nombre et en origine sociale), l'inventivité
s'émousse souvent, les publics sont renvoyés à
une attitude consumériste (spectateur, mais pas acteur).
Ces lieux institutionnels sont souvent en butte à des restrictions
budgétaires. Cela renvoie aussi à une crise de la
culture conçue uniquement comme un ensemble d'oeuvres dont
l'accès doit être faciliter (démocratiser)
par les politiques publiques
1.2 Le foisonnement des lieux et des pratiques culturelles et
artistiques est, peut-être, ce qui donne aujourd'hui davantage
de force et de sens à la créativité ; il
investit des lieux multiples, invente des imaginaires, des projets
(où projet social, projet artistique et projet de vie sont
tissés ensemble - une nouvelle manière de combiner
art et politique). Ce foisonnement ne se retrouve pas dans les
politiques publiques traditionnelles, malgré quelques manifestations
vitrines.
1.3 Autant que la transversalité entre les formes artistiques
et que la globalité des projets, le " pluriculturalisme
" est la marque de ce foisonnement : diversité des
cultures d'origine, métissages des cultures, respect des
cultures dites " minoritaires ",... La défense
de la diversité culturelle est au coeur de la lutte contre
la " marchandisation " et " l'uniformisation "
de la culture, et non pas la défense d'une " culture
nationale " contre " l'américanisation ".
Une raison de plus pour ne pas laisser à l'État
ou aux collectivités locales un rôle hégémonique
sur les questions culturelles.
1.4 Ces pratiques culturelles et artitistiques deviennent ainsi
des moyens de constituer des espaces publics (symbolique, démocratique,...),
et entrent donc, presque par nature, dans une relation conflictuelle
avec l'espace politique des collectivités publiques.
1.5 Parmi les lieux où s'enracine ce foisonnement, il y
a autant les friches - où s'élaborent des projets
globaux - que des lieux de proximité, comme les cafés
qui montent en puissance, autant comme lieux de simple sociabilité
que comme lieux de musique, théâtre ou poésie
- où musique, théâtre, expos, poésie,
audiovisuel, ont de plus en plus droit de cité, sans oublier
la rue elle-même et les espaces publics.
1.6 Les activités économiques, directes ou indirectes,
générées par ces nouvelles pratiques ou abritées
dans ces nouveaux lieux peuvent rejoindre ce qui est mis en général
sous le terme "économie solidaire" (notamment
sans but lucratif). A l'inverse, les effets de la "marchandisation"
de la culture se font sentir fortement.
1.7 Ces pratiques différentes sont souvent liées
à des territoires, à une manière d'habiter
des espaces. Elles portent beaucoup de diversité, de transversalité
des formes artistiques, de transculturel, de métissages.
Elles comportent des évolutions dans les disciplines pratiquées,
avec notamment un développement, notamment au niveau du
" voisinage ", des groupes de musique et du spectacle
vivant (théâtre, danse, chorales, etc.). Elles s'appuient
beaucoup sur le "multimedia" et l'utilisation du "web",
de l'infographisme aux télés locales.
1.8 Ce phénomène, parfois appelé "créativité
diffuse", dissout en partie les frontières amateurs
/ professionnels. Le marché de l'art n'est plus le critère
ultime d'attribution du label " professionnel ". Cela
ne supprime évidemment ni les critères de qualité,
ni l'exigence de formation - et maintient donc la fonction des
politiques publiques pour accompagner la formation et l'aide à
la professionnalisation.
1.9 Ce phénomène se manifeste aussi par une liaison
différente entre le travail et l'art, le travail et la
vie quotidienne. Les frontières s'effacent là aussi
: le modèle " intermittents du spectacle " converge
avec celui des " artistes-RMI ", et l'ensemble concerne
un fraction plus importante de la population. Cela comporte des
implications lourdes sur le statut social comme sur la vie sociale
publique (Écoles, commerces, présence dans l'espace
public,...).
1.10 Ces nouvelles formes sociales, plus collectives, d'activités
culturelles peut s'accompagner de la poursuite de quelques mythes
comme celui de l'artiste (maintenant du collectif artistique)
incompris de la société et des pouvoirs publics,
par nature isolé et rejeté. Les squats artistiques
sont parfois d'autant plus vulnérables qu'ils se complaisent
dans un auto-isolement sans chercher un enracinement local à
même de contribuer à un rapport de forces face aux
pouvoirs publics.
1.11 Peut-on pour autant parler d'une culture jeune spécifique
? Objet de toutes les sollicitudes de la part d'une industrie
culturelle qui produit ses injonctions identitaires (du cinéma
à la musique), les jeunes sont érigés en
icône de la consommation. Alors que leurs productions culturelles
sont beaucoup plus riches que la standardisation à laquelle
on les renvoie. Et que la société leur refuse souvent
le droit de travailler, de se logir, d'agir, bref, d'y avoir une
place reconnue.
2°) Le bilan de la politique municipale
2.1 Imagination, réflexion, ambition et sens ont été
bannis de la politique culturelle municipale depuis 10 ans, au
point de faire douter de l'existence d'une politique. La municipalité
n'a pas voulu comprendre le potentiel représenté
par la présence de milliers d'artistes et de professionnels
de la culture à Montreuil, ni le foisonnement culturel
partout dans la ville. Il y a peu de prise en compte, et de visibilité
dans la presse municipale, de tout ce qui se retrouve derrière
les appellations "cultures minoritaires, urbaines, métissées".
La politique culturelle est un champ de ruines, elle est toute
à reconstruire.
2.2 La municipalité n'a pas voulu se saisir du potentiel
représenté par les friches, qu'elle a gelées
ou détruites en refusant les projets présentés
et en faisant expulser les squats artistiques. Elle est restée
prisonnière de logiques financières à courte
vue (une entreprise rapporte de la taxe professionnelle, la culture
ne rapporte rien) voire de logique idéologique (les villes
de gauche ont besoin des ouvriers des entreprises, qui reviendront
bien un jour pour occuper les friches). Elle n'a pas vu le rôle
des squats artistiques pour contribuer à l'animation d'un
quartier en redonnant vie à des lieux abandonnés,
sources d'insécurité et de laideur (les palissades
bleues).
2.3 Son approche privilégie la fonction "sociale"
(productrice de lien social) des pratiques culturelles au détriment
de la fonction politique et symbolique. La municipalité
conçoit la politique culturelle principalement sous cet
angle, voire la réduit à cette fonction. Le Développement
Culturel de Proximité (DCP) est prisonnier de cette vision
réductrice, coupé des nouvelles pratiques culturelles
(notamment parmi les jeunes). Dans le Contrat de Ville (dont la
culture est devenue une dimension à part entière,
selon l'orientation du Gouvernement), les rares projets culturels
pris en compte émargent de la rubrique "éducation
globale".
2.4 Inversement, dans le texte proposé pour l'orientation
culturelle, on ne parle pas de la fonction ludique de la culture,
du plaisir, de l'imaginaire, de sa valeur pour elle-même
et non pas pour retisser directement du lien social.
2.5 Dans la conception municipale, se développe une approche
"identité montreuilloise", avec une place croissante
occupée par les fêtes municipales (place idéologique
et place financière) pour construire une soit disant "communauté
montreuilloise" : ce qui paraît un non sens dans une
banlieue métissée où les gens circulent en
permanence entre les villes et entre les cultures.
2.6 Les relations avec les artistes aussi bien que les réactions
face aux projets ne sont que des luttes de pouvoir. L'appareil
municipal veut maîtriser, pour des raisons administratives
ou idéologiques, toutes les expressions culturelles, en
partie par des subventions, en partie par des privilèges.
Ce sont des pratiques partagées par un certain nombre d'artistes
et de citoyens.
2.7 La gestion administrative et comptable des principaux équipements
culturels de la culture a accompagné la baisse des budgets,
la disparition du "sens" des équipements, voire
leur fermeture (TEM, Centre des Expos, saison de la danse, etc.).
Et que dire de la symbolique de la "table rase" en arrière-fond
de la destruction du TJS comme lieu et comme mémoire, et
de sa transformation en CND ?
2.8 La culture politique municipale reste celle du contrôle
et de l'inclusion dans un dispositif décidé d'en-haut,
avec une peur phobique des innovations, souvent incontrôlables.
Cette caractéristique générale de la municipalité
empêche la constitution d'espaces publics (qu'ils soient
politiques, géographiques ou symboliques) sans lesquels
la création et la culture ne peuvent foisonner.
2.9 La méfiance règne même envers les associations
qui gèrent des équipements culturels municipaux
: elles sont davantage considérées comme des "prestataires
de services" auxquelles des "comités de suivis"
cooptés par le maire doublent les Conseils d'Administration
(où la municipalité est déjà représentée)
que comme des "partenaires" à part entière,
que l'on écoute, et dont on respecte le travail.
2.10 Au-delà de ces associations paramunicipales, c'est
l'ensemble des associations culturelles, des artistes et des professionnels
de la culture qui est confronté à l'absence d'écoute,
de dialogue et de respect du travail fait.
3°) L'art et la culture, c'est politique : éléments
de propositions
3.1 Changer d'orientation : redonner une véritable place
politique à l'art et la culture dans une politique municipale,
en mettant l'accent sur leurs fonctions de porter et de créer
du sens, des repères, des distanciations critiques, du
rêve, et du plaisir ; sur leurs fonctions symboliques et
ludiques. Arts et cultures doivent retrouver, dans une politique
municipale "de gauche", leur fonction de construction
d'un imaginaire du changement social (politique, culturel...)
et du refus de l'ordre capitaliste.
3.2 C'est ce qui doit donner sens à l'action culturelle
municipale, avant même les questions budgétaires,
et ce même si reconnaître cette fonction de la culture
signifie aussi donner un poids plus important au budget culturel.
3.3 C'est aussi ce qui fait du droit à la culture (aux
pratiques culturelles et pas seulement aux objets culturels) la
ligne directrice d'une politique municipale - et ce qui détermine
les relations entre les élus et les acteurs culturels :
écoute, partenariat, respect des dynamiques propres ; autonomie
contractuelle dans le cadre de projets, se substituant au clientélisme
des subventions actuelles (opacité des critères
et des motivations). Appels à projet et concours d'idées
doivent être la règle, en toute transparence.
3.4 Donner un nouvel équilibre : il s'agit de continuer
la démocratisation de l'accès à la culture
et aux oeuvres, et notamment pour la lecture publique : les inégalités
dans cet accès continuent à exister au sein de la
ville, notamment dans le Haut-Montreuil ; mais - compris pour
favoriser cet accès - la priorité doit être
accordée à tout ce qui favorise les pratiques culturelles
et artistiques des publics qui ne fréquentent guère
les institutions culturelles traditionnelles, des publics "silencieux"
; à ce qui permet la diversification des lieux.
3.5 Donner un véritable " droit de cité "
à ces nouvelles pratiques. Donner une plus grande visibilité
aux nouvelles pratiques culturelles et artistiques. Donner de
l'air au Développement Culturel de Proximité, en
l'émancipant du social et du socio-culturel pour le relier
à ces nouvelles pratiques.
3.6 S'appuyer sur les écoles et, plus largement sur les
réseaux d'éducation populaire. Les dernières
réformes de jack Lang en matière d'éducation
artistique ouvrent de nouvelles possibilités de faire intervenir
directement des artistes (et pas seulement des animateurs) dans
les établissements scolaires : il s'agit de développer
les artistes en résidence dans les écoles et les
quartiers.
3.7 Reconnaître la fonction politique de l'art et de la
culture, c'est en premier lieu, lever les obstacles qui, dans
une politique municipale, s'opposent au foisonnement culturel
et artistique : - passer d'une "culture de contrôle
administratif et clientéliste" à une "culture
de projet, de partenariat et de prise de risques", d'un "culture
de la programmation et du dispositif" à une "culture
de l'imprévu, du hors-normes, du non-programmé"
; - passer d'un urbanisme normalisateur qui veut remplir le moindre
trou, à un urbanisme qui admet les vides, qui laisse respirer
le tissu urbain (la culture et l'art, comme manières d'habiter
la ville, les rues, les espaces publics, les murs-à-pêches,
etc.), et sait remettre ses projets en cause ; - respecter le
caractère multiforme des projets (mêlant souvent
projet artistique, projet de vie, projet économique) ;
- aider à la résolution des conflits de voisinage
que provoquent souvent ces nouveaux lieux avec l'ordre social
bien-pensant (fréquentation par des jeunes, bruit, etc.).
3.8 Faciliter le foisonnement artistique et culturel : création
de nouveaux lieux dans les quartiers (notamment pour la musique),
facilement accessibles ; récupération de friches
pour des pratiques artistiques transversales (exemple : aménagement
du Kursaal pour le cinéma, les arts plastiques, la lecture,
etc.) ; aide à la mise en réseaux des lieux et associations
à l'échelon des quartiers et de la commune ; connecter
lieux et projets, sur la Ville et en facilitant les échanges
avec les villes voisines - et avec la planète par le web
; veille (un observatoire ?) pour repérer l'évolution
des pratiques artistiques ; aide administrative et juridique ;
aide à l'investissement des espaces publics les plus divers
(des rues jusqu'aux Murs-à-Pêches en passant par
les transports publics...) ; liaison avec un secteur d'économie
solidaire ; travail avec les habitants ayant une profession artistique
ou culturelle, etc.
3.9 Appuyer la création d'un forum permanent des artistes
et créateurs montreuillois, des associations, des "
usagers " de la culture, pour l'autogestion culturelle.
3.10 Au-delà de ces généralités :
une politique culturelle municipale, malgré les bonnes
intentions, n'est-elle pas automatiquement génératrice
de normes et de contrôles ? Une municipalité doit-elle
avoir le monopole de l'évaluation des activités
financées par de l'argent public ? A quelles conditions
une telle politique peut-elle ne pas être "étouffe-créateurs"
? Une politique culturelle municipale est-elle souhaitable ? Comment
défendre la liberté des choix culturels, face à
la pression du libéralisme et à l'hégémonie
grandissante de cultures standardisées (cf. Multiplexes)
? Quelles sont les attentes des "militants" de l'art
et de la culture envers des élus locaux ? De quels moyens
peut disposer un-e adjoint-e pour y répondre ?
3.11 Ce ne sont pas seulement des questions théoriques,
mais un problème de mise en pratique dans le contexte montreuillois
: les rapport de forces sociaux et politiques, l'intervention
citoyenne comme dirait le PC, détermineront le contenu
réèl de la politique culturelle suivie.