Elections municipales de mars 2001 - Montreuil (Seine Saint Denis)
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Quelle Politique de la Culture et de la Création à Montreuil ?

Compte Rendu de laTable Ronde du 13.12.2000

Invités
· Philippe Bacchetta (Les Instants Chavirés)
· Fazette Bordage (Trans-Europe-Halles)
· Jean-Jacques Hocquard (La Parole Errante)
· Evelyne Pérard (Théâtre Grande Vitesse)
· Nicolas Roméas (Revue Cassandre)
· Lyne Rossi (Les Verts, maire adjointe à la Culture à Arcueil)

 

Présentation d'expériences par les invités

Nicolas Roméas
-On peut-être amenés à prendre conscience de certaines réalités qui ne sont pas seulement de l'ordre du constat, mais de la volonté politique. Certaines choses ne sont pas rendues visibles par les médias, car l'échange de pouvoir est la règle avec les politiques. C'est ce qui se passe chez beaucoup de journalistes, y compris du service public.
-Il faut la pensée d'un lien avec une communauté humaine : une pratique artistique n'a de valeur que si elle s'adresse à la plus grande partie de la communauté humaine et non à une " pseudo élite ". Il faut revenir aux idéaux de Coppée et Vilar.
-Le jeu est faussé dès le départ; ce qu'on peut voir à la télé, dans la presse, ce n'est rien par rapport à la réalité. Si on s'intéressait à ce qui se passe dans les régions, les quartiers, cela deviendrait inévitablement politique, au sens noble du terme, mais cela risquerait de faire très peu d'audience et les journalistes perdraient leur travail.
C'est en partie pour cela que j'ai fait la revue Cassandre.
-Il faut retrouver un lien entre nos préoccupations et l'art. Tous les politiques sont dans une vision commune (la culture est un produit comme un autre, la seule question valable est : combien de spectateurs ?) qui nous empêche de réfléchir au lien entre nos préoccupations et le sens de ce que l'on fait, ce qui nous touche vraiment, en permanence.
Il faut prendre le temps de réfléchir sur le sens; cela rejaillit sur toute la politique culturelle. Il faut travailler sur la pensée.

Jean-Jacques Hocquard
-La Parole Errante s'est structurée autour de Gatti, mais ce sont aussi des réalisateurs, des dessinateurs etc. Nous travaillons sur une démarche : créer une œuvre avec des groupes de gens.
-Dans notre type de démarche et de travail, les spectateurs ne sont pas un problème; ce qui nous intéresse plus, c'est le groupe avec lequel nous travaillons.
-L'utopie d'un lieu culturel serait - selon ce que disait Jean Vilar - quand il n'y aurait personne dans la salle et que tout le monde serait sur scène. Il faut rejeter l'idéologie dominante qui donne tout pouvoir aux créateurs, à une élite.
-Dans le monde du théâtre, il y a une pensée, celle du théâtre des années 50, c'est actuellement une pensée dévoyée. Tout le monde alors était payé la même chose que ce soit un grand comédien, comme Gérard Philippe, ou un technicien.
-Aujourd'hui il faut chercher les choses autre part et ne pas institutionnaliser, ne pas faire entrer les gens dans des " boîtes " administratives, au risque de les asphyxier.

 

Fazette Bordage (Trans-Europe-Halles)
-Nous récupérons des bâtiments vides qui peuvent servir au travail artistiques.
-Nous sommes partis de l'utopie d'un lieu ouvert, par les artistes en auto-financement. Un lieu ouvert où l'on pouvait passer d'une expo à un concert etc.
-Dans notre premier lieu "le Confort Moderne" à Poitiers, beaucoup d'artistes se sont installés, avec l'envie de partager des pratiques artistiques. Ca a été compliqué : il a fallu quatre ans pour que le Maire veuille bien nous rencontrer. Beaucoup de responsables municipaux souhaitaient la fermeture du lieu car pour eux, la politique culturelle, ils s'en occupaient déjà.
-Ce sont des projets qui n'ouvrent pas seulement sur la culture, mais également sur la citoyenneté, des lieux où l'on rentre facilement, où l'on peut échanger… et cela répondait à un manque, un vide, il y avait besoin d'un lieu d'échange entre les pratiques.
-On a développé le réseau au niveau européen, surtout en Europe de l'Est mais également en Afrique et en Asie. Souvent des artistes veulent rester là où ils vivent et changer des choses d'où ils sont. Il y a une trentaine de lieux dans le réseau " Trans-Europe-Halles ".
-Nous venons de récupérer un lieu à Saint-Ouen, de 4000m2 ( un espace privé : une ancienne usine) : " Mains d'Oeuvre ", qui sera inauguré dans quelques jours, dès que seront réglées les questions de sécurité. Ce sera un lieu de travail, de résidence et cela répondra aussi à des demandes d'associations. Il y aura un gymnase, des sièges d'associations citoyennes et politiques (Europe 99 notamment), des lieux de spectacles et de répétition, des activités à vocation plus économiques), etc.
-Economiquement ce n'est pas facile, ce local est en location, on a imaginé plusieurs solutions pour générer des ressources propres : - Une partie des locaux de répétitions seront loués à l'heure.
- Location de salles de réunions
- Un café-restaurant.

Question :
-Avez-vous senti une volonté de la part des politiques de faire capoter votre projet ?
-Non pas, réellement de façon consciente, c'est plus un problème de compréhension. Aujourd'hui on se comprend davantage, mais la transformation en acte ne suit pas les paroles. C'est très difficile de changer les cadres administratifs.

Philippe Bacchetta (Les Instants Chavirés)
-Il manque des lieux en Région Parisienne, il y a un public à créer. Cela est paradoxalement plus simple en province; en Région Parisienne, le public est plus difficile. Nous avons 8000 spectateurs par an, dont seulement 10% de Montreuillois.
-Qu'est-ce qu'une municipalité peut revendiquer comme patrimoine culturel ? C'est une posture politique, la culture ce n'est pas que du social. Il faut des gens qui accompagnent.
Le budget municipal se réduit d'année en année, mais bien pire, tout échange, toute communication entre les associations ou avec les artistes sont voués à l'échec. Il n'y a jamais de place pour la parole en dehors du cadre institutionnel. Les politiques refusent les échanges. Pourtant ce besoin existe.
-Nous représentons des choses qui ne fonctionnent pas comme les autres, nous ne sommes pas des marchands, alors qu'est-ce qu'on est et comment on peut fonctionner ? D'où une certaine filiation avec l'économie solidaire.
-La ville ne rentre pas dans une expérience de suivi de ce genre de pratiques. La culture n'est-ce pas ce terrain d'expérience ? Par exemple on pratique la musique improvisée dans un orchestre où il n'y a pas de chef, on fonctionne soit en SCOP, soit en Association… le culture c'est un terrain d'utopie, ce n'est pas que du spectacle.
-Tout ce qu'on produit en dehors du système marchand a aussi sa richesse. On a réussi à créer huit emplois : investir sur l'art, sur la culture, c'est aussi permettre des créer des emplois fixes.
-Les subventions fonctionnent en cascade. Beaucoup de structures n'ont pas de subventions du Conseil Général parce que la ville n'a pas mis d'argent au départ.
-Les Instants Chavirés sont quasi-absents de toute publication. Dans le Journal de Montreuil, la ville nous traite comme si on était un lieu " d'élite "; mais c'est cela qui crée l'élite. Nous accompagnons des artistes et on voudrait faire le lien avec le public, on demande juste un peu d'espace, un peu de connivence avec les collectivités locales. A Montreuil, il n'y a aucun désir d'accompagner les initiatives et les structures.

Evelyne Pérard (Théâtre A Grande Vitesse)
-En nous installant à Montreuil, nous avons commencé un travail de terrain, tout en gardant un discours clair. Ce travail de terrain nous le faisons parce qu'il nous intéresse, c'est un vrai travail de création. On crée de l'improvisation à partir de ce que les gens vivent sur leur quartier. Cela reste possible sans être au détriment de notre travail de création.
-On ne veut pas être des " pompiers " du lien social ni des animateurs socio-culturels. Nous restons des créateurs, et c'est ce que nous voulons partager.
-On a eu un projet qui partait du désir de décloisonner les choses. On s'est rendu compte que le besoin d'un lieu d'échange et de travail pour les différents formes d'art était énorme. Avec plusieurs asociations, dont les Instants Chavirés, nous avons fait émerger des possibilités de lieux, et monter un projet. Beaucoup d'associations nous ont rejoint, et c'est devenu un gros projet. Sur ce projet, la Ville nous a complètement mené en bateau (au dernier moment, le lieu n'a pas été attribué).
-Il y a beaucoup de structures culturelles mais la Ville s'applique à ce que chacun reste bien chez soi.

Lyne Rossi (Maire-adjointe " Vert " à la Culture -Ville d' Arcueil)
-Les réalités que vous évoquez sont largement partagées, ce ne sont que des luttes de pouvoir. Nous sommes face à des appareils qui veulent maîtriser, en partie par des subventions, en partie par des privilèges. Ce sont des pratiques partagées par un certain nombre d'artistes et de citoyens.
-Exemple Friche " Anis Gras " : j'ai fait la proposition qu'elle devienne un lieu d'accueil, pluri-culturel, autonome, géré par des associations ou des entreprises culturelles avec une subvention de fonctionnement.
Il y a eu une grosse résistance de la ville et d'artistes alimentés régulièrement par la Ville. Les politiques sont sourds devant les aspirations à l'autonomie.
-Tout le monde a sa part de responsabilité. Cette question de la culture est liée à la nécessité de travailler en lien avec la société civile, c'est un problème de représentation.
-La politique a pour but de favoriser l'émergence d'initiatives autonomes. Il y a d'autres voies possibles pour faire bouger les espaces culturels :
- Etablir des évaluations des espaces publics par les utilisateurs eux-mêmes.
- Créer des collectifs d'utilisateurs mêmes si les responsables hurlent à l'usurpation.
Il faut qu'artistes, politiques et publics parviennent à établir des discours et des pratiques collectives, puissent tisser conjointement de multiples formes.

Suzanne d'Hermies (enseignante)
Pour qui est la Culture ? J'enseigne dans un collège du Haut Montreuil, et lorsque l'on demande un rendez-vous au Louvre pour une visite gratuite, on ne l'a pas; la Seine Saint Denis est malvenue dans ces lieux culturels : il faut se faire passer pour un collège parisien. Dans le haut Montreuil, on est loin de tout alors on prend toutes les activités culturelles que peut nous proposer la Ville. Par contre, le Carnaval de quartier, où le Collège était très impliqué, a été annulé : une semaine après, en juin dernier, il y avait la grande fête du Maire sur la ville (repas de quartier et solstice d'été), et c'était prioritaire ! Tout devait rentrer dnas ce cadre, et le soutien matériel de la ville était impossible.

Marco Candore (Tapage Cothurne)
-Montreuil est de plus en plus assimilé à Paris, ce qui est en soi problématique. Comment peut-on attirer du public, quels moyens trouver face à cette énorme force de frappe médiatique ?
-Si il n'y a pas de volonté de la part de groupes politiques, ça ne peut pas marcher et forcément on finit dans les mêmes inerties. Pourquoi la culture échapperait elle au grand bazar de la marchandisation ? Comment faire le poids sans une volonté politique ?
-Où en est la culture à Montreuil ? Il y a un vrai problème d'articulation : globalement on est face à des gens qui ne pensent pas grand chose, qui ne respectent pas les autres mais qui aiment être élus. La culture est révélatrice de l'ensemble parce que le politique considère qu'un artiste, c'est un peu " douteux ", on ne sait pas trop ce qu'il pense . Souvent le politique se révèle face au cultureux.
-La culture c'est aussi le mode d'habitat, c'est la vie de tous les jours, la vie des quartiers.

Lyne Rossi
-Les squats d'artistes fonctionnent lorsqu'ils sont soutenus par la population. Si il n'y a pas de rapport de force en face, on joue souvent le consensus. Si la population ne se saisit pas de ces questions, les choses n'avancent pas.

 

Propositions

Patrick Petitjean
-Il y a des pratiques culturelles qui sortent des cadres habituels administratifs et des visions de la culture que l'on retrouve partout dans les politiques publiques. Les politiques municipales n'arrivent pas à les prendre en compte, ni même à s'apercevoir de leur existence. La Ville ne perçoit de l'intérêt que dans la question sociale de l'activité artistique. Lors du débat sur la politique culturelle lors conseil municipal de juin dernier, on ne parlait que lien social : les mots " ludique ", " plaisir ", " imaginaire " étaient pratiquement absents. La culture ne semblait pas exister pour elle-même. Il y a là une fonction politique de l'art et de la culture qui a disparu de la politique municipale.
-La première proposition que nous pouvons faire est donc de redonner dans la politique municipale cette place politique à la culture. C'est une question de sens davantage que de budget, même si cela doit se traduire financièrement.
-Comme cela a été dit par Lyne Rossi et par une intervenante (Gabrielle Grammont), les artistes reconnus ne peuvent être le seul point d'entrée d'une politique culturelle : les associations, les comités d'habitants, les écoles, les " pratiquants " de la culture, ont leurs propres perspectives et propositions.
-Se développent partout, dans tous les quartiers, ce que certains appellent des " pratiques culturelles diffuses ", fondées davantage sur le transversal (entre formes d'art et de culture - mais aussi entre culture, social, économique, politique, ou projet de vie individuel ou collectif) que sur la spécialisation, et qui contribuent à rendre floue la frontière entre amateurs et professionnels. Des lieux de nature très diférente y contribuent. Jean Vilar s'y retrouverait certainement.
-Se battre contre la " marchandisation " de la culture, c'est aussi refuser que le " marché " soit le critère ultime de séparation des professionnels (ceux qui vivent de leur s créations) et les amateurs (dont les artistes rmistes), c'est refuser la dictature de l'audimat (le taux de fréquentation par les spectateurs). C'est aussi, privilégier la diversité des pratiques culturelles, des métissages, c'est favoriser les cultures dites minoritaires, en rejetant un modèle unique et dominant, fusse-t-il français et bien-pensant de gauche.
-La deuxième proposition que nous pouvons faire, c'est de reconnaître l'existence et l'importance de ces pratiques culturelles diffuses, de ces lieux de créativité en dehors des institutions culturelles traditionnelles, c'est leur reconnaitre " droit de cité ".
-La troisième proposition que nous pouvons faire, c'est de soutenir et d'accompagner les formes de pratiques culturelles les plus liées aux préoccupations (de toutes sortes) des habitants : repérer les obstacles à leur développement et les lever, favoriser ainsi les dynamiques en œuvre, faciliter la mise en réseau et ne pas avoir peur des innovations. En ce qui concerne l'urbanisme, il faut accompagner les projets qui permettent de rendre vie aux friches, quitte à revoir les projets d'urbanisme. Il faut également travailler à faire des passerelles entre professionnels et les mouvements " plus " sociaux, entre les artistes reconnuset les pratiques culturelles plus diffuses.
-Le dernier engagement que nous prenons, c'est de soutenir tout ce qui ira dans le sens de l'auto-organisation des acteurs culturels, des artistes et des " usagers " de la culture : il s'agit de favoriser l'autonomie des acteurs culturels, leur libre association, pour sortir enfin du contrôle et du clientélisme municipal, pour un véritable partenariat. Nous souhaitons l'existence d'un forum permanent pour la culture à Montreuil.